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Jack Lang : Le charme de l'Égypte captive le cœur des Français


Par Alamir Kamal Farag .Publié le 2025/10/29 22:18
Jack Lang : Le charme de l'Égypte captive le cœur des Français
Octobre. 29, 2025
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Jack Lang, Président de l'Institut du Monde Arabe (IMA) à Paris, incarne la figure de l'homme politique gagné par la culture et du militant culturel gagné par la politique. Fort de ses responsabilités gouvernementales passées en tant que ministre de la Culture et ministre de l'Éducation, il a œuvré sans relâche pour servir la culture arabe et renforcer le dialogue entre la France et le Monde Arabe.

Très jeune, il se passionne pour la langue arabe, découvre sa beauté intrinsèque et ses subtilités. Il a consacré tous ses efforts à sa diffusion en France et dans le monde, concrétisant sa vision dans un ouvrage intitulé « La langue arabe, trésor de France ». Dans ce livre, il exhorte à découvrir l'histoire séculaire et la richesse inouïe de cette langue, qui, entrée en France depuis des siècles, est désormais partie intégrante de son patrimoine culturel. Il s’est d’ailleurs courageusement opposé à la minorité réticente à son enseignement en France.

Jack Lang a joué un rôle clé dans la création du musée du Louvre Abu Dhabi, a contribué à concrétiser l'idée de l'Institut du Monde Arabe, et a soutenu le développement du cinéma africain. Il préside aujourd'hui l'IMA, la plus grande institution culturelle arabe d'Europe, qui travaille jour et nuit à diffuser la culture, l'art et les belles valeurs arabes, tout en défendant les causes arabes depuis Paris, capitale mondiale de la culture.

Dans cet entretien avec "Sharjah Culturelle", Jack Lang dévoile ses liens culturels avec le Monde Arabe, évoque les personnalités marquantes qu'il a rencontrées, le rôle de l'IMA dans la promotion et la protection de la culture arabe, le soutien aux causes arabes, et met en lumière la genèse du « Louvre Abu Dhabi », de l'« Institut du Monde Arabe », ainsi que de « SIMA », le premier outil d'évaluation de la maîtrise de la langue arabe, entre autres sujets.

Des Liens Profonds avec le Monde Arabe

* Vous avez présidé de nombreuses institutions culturelles prestigieuses en France, notamment en tant que ministre de la Culture et ministre de l'Éducation. Qu'est-ce qui distingue votre expérience à la tête de l'Institut du Monde Arabe de vos précédentes fonctions ?


Ma présidence de l'Institut du Monde Arabe est nouvelle, mais elle est en lien direct avec mon expérience passée. Mes liens avec le Monde Arabe sont très anciens, ils remontent à mes années d'école, précisément à l'époque de l'indépendance du Maroc. J'avais alors environ 15 ans et je suivais de près les révolutions des pays arabes aspirant à leur souveraineté.

Dès ma jeunesse, j'ai noué des amitiés avec des personnalités du Maghreb, puis j'ai visité de nombreux pays arabes, tels que l'Égypte et le Liban. À l'âge de vingt-cinq ans, j'ai visité l'Algérie, le Maroc et la Tunisie. Ce n'est que plus tard, après être devenu président de l'IMA, que j'ai découvert les pays du Golfe.

Le réalisateur égyptien Youssef Chahine fut la première personnalité arabe à me rendre visite en 1980, lorsque je suis devenu ministre de la Culture. Je le connaissais déjà bien, l'ayant rencontré auparavant au Caire. Dès ma prise de fonction au ministère de la Culture, Chahine m'a contacté pour m'expliquer que le cinéma africain avait besoin du soutien français pour se développer. En réponse à cet appel, j'ai œuvré pour allouer des fonds au cinéma en Afrique du Nord.

Chahine m'a également invité à assister à un concert d'Oum Kalthoum, la grande dame du chant arabe, à la salle historique de l'Olympia à Paris. Oum Kalthoum a donné deux concerts à Paris, le premier le 13 novembre 1967 et le second le 15 novembre 1967.

Au début de mon mandat au ministère de la Culture, j'ai informé le président François Mitterrand du projet de l'Institut du Monde Arabe, qui n'existait alors que sur le papier. Les terrains furent alloués, et il m'a dit : « Lancez la construction. » J'ai sélectionné l'architecte-conseil et, en tant que ministre de la Culture, j'ai facilité toutes les procédures pour l'édification de cet Institut.

Mes liens avec le Monde Arabe ont pris de multiples formes. Par exemple, en 1999, le président François Mitterrand a invité le défunt président palestinien Yasser Arafat, à une époque où il était considéré comme un terroriste par de nombreuses parties. Mitterrand croyait en la justice de la cause palestinienne et a sauvé la vie d'Arafat à trois reprises.

À l'époque, Mitterrand m'a dit : « Vous pensez comme moi à une solution pour la question palestinienne, » et m'a demandé de préparer une réunion à l'IMA avec Arafat et d'autres personnalités importantes. Cette rencontre de haut niveau a eu lieu, et je possède plusieurs photos documentant cet événement.

Parmi les personnalités avec lesquelles j'étais en contact figurent l'artiste Farouk Hosny, ancien ministre égyptien de la Culture, ainsi que l'ancien président égyptien Hosni Moubarak, qui manifestait un grand intérêt pour la culture.

Au fil des années, j'ai toujours fait partie des délégations officielles se rendant dans les pays arabes avec les présidents, y compris le président Emmanuel Macron. Il y a quelques mois, j'ai eu un entretien avec le président égyptien Abdel Fattah Al-Sissi.

À travers ma présidence de l'IMA, je veille toujours à consolider les relations avec les pays arabes. Aux Émirats Arabes Unis, par exemple, j'ai joué un rôle dans la création du Louvre Abu Dhabi depuis la France. L'idée émanait de feu Cheikh Zayed bin Sultan Al Nahyan. À ce moment-là, certains responsables du Louvre à Paris étaient opposés à la création de cette deuxième antenne. J'ai alors rédigé de nombreux articles soulignant que le "Louvre Abu Dhabi" était une opportunité majeure pour la France et les Émirats.

J'accueille constamment des personnalités culturelles émiraties, notamment Zaki Nusseibeh, conseiller culturel du Président de l'État Cheikh Mohamed bin Zayed Al Nahyan, et président de l'Université des Émirats Arabes Unis. Il est également un membre proche du conseil d'administration de l'IMA, ayant contribué à la création de l'Université Paris-Sorbonne Abu Dhabi, et je l'accueillerai à nouveau dans les prochains jours.

Soutien à la Culture Palestinienne

* Face aux défis mondiaux et aux changements géopolitiques actuels, comment l'IMA contribue-t-il à promouvoir la compréhension et le dialogue entre les civilisations, notamment entre le Monde Arabe et l'Occident ?


C'est une très vaste question. Nous ne sommes ni l'UNESCO ni la Ligue des États Arabes, mais je mets tout en œuvre pour soutenir les personnalités arabes. Par exemple, je soutiens la candidature de l'Arabe et Égyptien, l'ancien ministre égyptien du Tourisme et des Antiquités, le Dr Khaled El-Enany, au poste de Directeur général de l'UNESCO pour la période 2025-2029. Il parle couramment le français.

Nous soutenons également les causes arabes. Par exemple, nous sommes la seule institution au monde à accorder une telle visibilité et un tel soutien à la culture palestinienne. L'ancien ambassadeur palestinien auprès de l'UNESCO, Elias Sanbar, a collaboré avec l'IMA pour organiser une exposition intitulée « Qu'offre la Palestine au monde ? ». L'exposition a duré un an et a remporté un immense succès.

Actuellement, l'IMA organise l'exposition « Trésors de Gaza : 5000 ans d'histoire », inaugurée par le Président de la République française, Emmanuel Macron. Elle présente plus de 100 pièces archéologiques témoignant du passé glorieux de cette ville palestinienne, qui fut dès l'Antiquité un carrefour stratégique pour le commerce entre l'Asie et l'Afrique, et dont le patrimoine est menacé de destruction par la guerre avec Israël.

L'exposition est accompagnée d'un programme culturel riche, comprenant des débats, des projections cinématographiques et musicales, ainsi que des événements autour de la culture palestinienne. L'exposition connaît un grand succès, avec un millier de visiteurs quotidiens, et les objets exposés ont émerveillé le public.

Un Étalon pour l'Apprentissage de l'Arabe

* Vous avez une position ferme contre les détracteurs de l'enseignement de la langue arabe en France. Cette opposition s'est-elle atténuée ou intensifiée aujourd'hui ?


La langue arabe est l'une des plus belles langues au monde. Elle est la cinquième langue parlée à l'échelle mondiale et se distingue par une richesse linguistique rare. Elle a influencé de nombreuses autres langues, si bien qu'il existe des mots arabes dans la langue française. C'est pourquoi j'ai écrit mon livre « La langue arabe, trésor de France ».

Ceux qui s'opposent à l'enseignement de la langue arabe en France sont une minorité, des personnes qui n'aiment pas l'Autre. Nous avons réussi à montrer aux Français ses beautés à travers de nombreux événements.

La soixante-dix-neuvième édition du Festival d'Avignon, le plus grand festival de théâtre en Europe, qui s'est tenue dans le sud-est de la France en juillet dernier, a accordé une place centrale à l'arabe, considérée comme la langue de la lumière et du savoir. L'IMA a notamment organisé une magnifique soirée poétique arabe dans le cadre du festival.

L'IMA a lancé diverses initiatives pour l'enseignement de la langue arabe, dont la plus importante est l'établissement d'un étalon mondial d'apprentissage de l'arabe, à travers le certificat « SIMA » (Système d'évaluation des niveaux en arabe) pour classer le degré de maîtrise de la langue. C'est une étape cruciale et inédite pour évaluer la compétence en arabe, à l'instar du TOEFL pour l'anglais ou du DELF pour le français.

Le Secret de Cléopâtre

* L'Institut organise actuellement l'exposition « Le Secret de Cléopâtre » qui met en lumière la dernière reine de l'Égypte ancienne. Quelle est la signification de cette exposition et quel écho a-t-elle auprès du public français ?


Cléopâtre est une personnalité historique inspirante, un phénomène mondial. Malgré les 2500 ans écoulés depuis sa mort, elle demeure présente dans l'imaginaire, la pensée et les arts du monde entier. Dans la rue, le simple fait de prononcer le nom "Cléopâtre" évoque une valeur reconnue. Cette reine égyptienne fascinante a inspiré les poètes, les écrivains, les artistes, les sculpteurs, les peintres et les scénaristes, ce qui confirme qu'elle est un phénomène immortel à travers les continents et les époques.

L'exposition présente près de 250 œuvres d'art provenant de différentes époques, offrant aux visiteurs un voyage temporel unique et révélant les dernières connaissances historiques et archéologiques sur Cléopâtre. Des statues et inscriptions la représentant aux objets qui illustrent la vie de son époque, l'exposition apporte de nouvelles perspectives contribuant à décoder la complexité de son personnage et son rôle central dans l'histoire romaine et égyptienne.

Un programme culturel riche et varié accompagne l'exposition. Il comprend des rencontres et des colloques abordant divers aspects de la vie de Cléopâtre et de son ère, avec la participation d'experts et d'historiens. De plus, des spectacles musicaux et cinématographiques inspirés de son histoire, ainsi que des ateliers interactifs, permettent au public de s'immerger plus profondément dans l'histoire de cette reine exceptionnelle.

* La culture française est une culture universelle qui a influencé de nombreuses autres cultures. En Égypte, par exemple, il existe une génération d'écrivains qui ont été influencés par elle et ont écrit dans cette langue. Comment percevez-vous cette influence ?

Quand nous parlons de l'Égypte, nous parlons d'une merveille égyptienne. Lors de ma dernière visite officielle en Égypte avec le président Emmanuel Macron, j'ai été ébloui par la présence de la langue française dans de nombreux lieux, comme à l'Université du Caire et à l'Université Française d'Égypte au Caire.

La présence française est forte en Égypte, tout comme la présence égyptienne en France. On peut dire qu'il existe un charme égyptien dans les villes françaises. Les Français sont passionnés par la civilisation égyptienne, et ce n'est pas étonnant : l'Égypte est le plus grand pays arabe, sa civilisation est la plus ancienne, et elle a toujours été forte et influente à travers l'histoire.

Même aujourd'hui, l'Égypte continue d'offrir au monde de grands artistes, acteurs et cinéastes. Quand on prononce "Égypte" en France, la réaction est chaleureuse et belle. La civilisation française a eu un impact sur l'Égypte, mais l'Égypte a aussi eu un impact sur la France.

L'Intelligence Artificielle

* L'Intelligence Artificielle (IA) représente un défi majeur pour la culture arabe. Comment l'IMA s'est-il préparé à ces changements radicaux qui se profilent à l'horizon ?


Je ne suis pas un scientifique dans ce domaine, mais l'Intelligence Artificielle est une arme à double tranchant. D'un côté, sur le plan médical et scientifique, elle est très bénéfique. Par exemple, nous avons utilisé la réalité virtuelle dans l'exposition « Le Secret de Cléopâtre », en fournissant aux visiteurs des lunettes spéciales pour enrichir le récit historique. Nous avons également reconstruit l'ancienne Bibliothèque d'Alexandrie de la même manière, la présentant de manière interactive et captivante, ce qui a beaucoup plu aux visiteurs.

Mais dans la culture et l'art, la création ne peut pas être remplacée par des machines et des robots. C'est pourquoi l'Institut travaille à sensibiliser à cette question et à protéger les penseurs et les créateurs.

L'Expérience Culturelle de Sharjah

* L'Émirat de Sharjah est la première ville créative arabe et est devenue un foyer de rayonnement culturel arabe et mondial. Comment percevez-vous cette expérience ?


Les Émirats Arabes Unis ont été parmi les premiers pays à entrer avec force dans le monde de l'art et de la culture, avec une présence culturelle constante à travers de nombreux projets. Les Émirats jouissent d'une belle diversité. Par exemple, Sharjah est un émirat culturel par excellence. Elle a été pionnière dans l'activité culturelle, et Cheikh Dr Sultan bin Muhammad Al Qasimi, Souverain de Sharjah et membre du Conseil suprême de l'Union, a été le premier à embrasser et à magnifier la culture, à préserver la langue et à soutenir le dialogue des civilisations. Ses filles, Cheikha Bodour et Cheikha Hoor, ont également de nombreuses contributions culturelles et artistiques.

Je suis de près de nombreux événements à Sharjah, tels que la Biennale de Sharjah et la Foire du Livre de Sharjah. Ses musées m'ont émerveillé, tout comme ses universités et ses centres de recherche.

Abu Dhabi est un autre exemple d'art, de culture et de traduction, avec l'Île de Saadiyat qui abrite de nombreux musées comme le Louvre Abu Dhabi et le Musée d'histoire naturelle qui ouvrira bientôt. Nous avons une coopération étroite avec l'Institut de la Langue Arabe d'Abu Dhabi, dont le président, le Dr Ali bin Tamim, s'est rendu plusieurs fois à l'IMA et a contribué à la présence de la langue arabe au Festival International d'Avignon.

À Dubaï également, le mouvement culturel et artistique est remarquable. L'IMA a remporté le Prix Mohammed bin Rashid pour la Langue Arabe, dans la catégorie de l'enseignement de l'arabe comme langue étrangère, pour son certificat « SIMA » d'évaluation du niveau de maîtrise de la langue arabe.

* Les institutions culturelles sont confrontées au problème du désintérêt du public pour les activités culturelles. L'IMA a réussi à briser ce stéréotype. Comment y êtes-vous parvenu ?

Nous avons une équipe exceptionnelle à l'IMA, que nous traitons comme des amis. Ils ont une passion qui se transmet à tous les visiteurs. Nous avons la chance que les journaux arabes et français couvrent nos activités, ce qui nous confère une double responsabilité.

Au musée, nous disposons de salles aménagées pour accueillir de petites et grandes expositions, en plus de salles pour organiser des débats, des projections de films, des soirées musicales et autres, répondant ainsi à tous les intérêts des visiteurs.

La Presse Culturelle

* L'Égypte a une histoire avec la presse francophone, comme Le Progrès, publié depuis plus de 100 ans, et Ahram Hebdo, publié depuis plus de 30 ans. Quel rôle la presse peut-elle jouer pour consolider les relations culturelles franco-arabes ?


Ce sont d'excellentes expériences. Nous espérions accompagner cela par la publication d'un journal ; nous avions un journal trimestriel, mais il était très coûteux. Je regrette de ne pas avoir de journal, car j'aime l'écrit. Cependant, nous compensons cela par les réseaux sociaux, qui sont devenus le langage de notre époque. Je crois que l'activité de l'Institut sur Instagram, Facebook et autres a un très grand impact dans les deux langues, arabe et française. Grâce à ces applications, nous écrivons, innovons et publions quotidiennement pour atteindre le plus grand nombre de personnes.

J'espère voir un jour en France un journal arabe, qu'il soit de l'Institut ou d'une autre entité, jouer un rôle important dans le renforcement des relations culturelles franco-arabes.

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