Contre des centimes : l'IA exploite les pauvres pour classer des cadavres
Par Joe Wilkins .Publié le
2025/10/20 05:33

Octobre. 20, 2025
Bien que la technologie d’intelligence artificielle (IA) ait comblé l'humanité de nombreuses "bénédictions"—telles que la production de vidéos fictives (comme Stephen Hawking en catcheur professionnel), des milliers de podcasts, ou une musique pop foisonnante sur des plateformes comme Spotify—cette avancée impose un coût exorbitant et invisible. Ce prix ne se limite pas aux dépenses énergétiques colossales qui contribuent à ramener les niveaux de pollution à ceux de l'ère industrielle. Il réside aussi dans la dépendance à de gigantesques "ateliers mondiaux" bâtis sur l'exploitation. Dans les pays en développement, des travailleurs sous-payés sont chargés d'accomplir le travail intellectuel, caché et épuisant qui sert de véritable carburant à cette technologie.
Étiqueter des cadavres pour un salaire de misère
La colère monte parmi les travailleurs dans des nations historiquement exploitées comme le Kenya, la Colombie et l'Inde, en raison de la tâche ingrate et éreintante requise pour l'entraînement des systèmes d'IA.
Ce travail est connu sous le nom d'Étiquetage de Données (Data Labeling). Par exemple, comme le rapporte l'Agence France-Presse (AFP), pour qu'un chatbot d’IA puisse générer un rapport d'autopsie, les contractuels doivent trier des milliers d'images horribles de scènes de crime.
Bien que ce labeur soit souvent effectué à distance — ce qui permet aux entreprises d'économiser sur les coûts de location de bureaux — l'étiquetage de données n'est en rien une sinécure réalisée confortablement sur un ordinateur portable. Les ouvriers de cette industrie décrivent des heures de travail exténuantes, une protection quasi inexistante sur le lieu de travail, et des tâches fréquentes impliquant du contenu violent ou macabre. Théoriquement, cette pratique s'apparente fortement à la modération de contenu sur les réseaux sociaux, une autre activité numérique fondée sur l'exploitation dans le monde en développement.
Ephantus Kanyugi, un étiqueteur de données kényan, a déclaré à l'AFP : "Vous devez passer toute votre journée à regarder des cadavres et des scènes de crime. Aucun soutien en santé mentale n'était prévu."
Le réseau obscur et la « servitude moderne »
Pour ajouter à la turpitude, ces contractuels ne sont pas employés directement par les géants de l'IA tels qu'OpenAI ou Google. Ces sociétés s'associent plutôt à des sous-traitants tiers qui recrutent ensuite des étiqueteurs de données comme Kanyugi, dont le pays d'origine ne dispose d'aucune loi régissant l'annotation de données.
Scale AI est l'une des entreprises les plus notoires opérant dans cette industrie, agissant souvent par le biais de diverses filiales et sociétés écrans. Scale AI est sans doute la plus grande entreprise dans le domaine trouble de l'étiquetage de données, affichant des liens profonds avec des mastodontes de la Silicon Valley comme OpenAI et Meta, ainsi qu'avec des clients prestigieux comme le Pentagone américain.
Les pratiques de Scale AI sont déjà assez déplorables. Mais l'AFP révèle que l'une de ses filiales, Remotasks, va encore plus loin : elle paie les étiqueteurs environ un centime de dollar américain pour chaque tâche accomplie, ce qui peut pourtant prendre des heures. Un système que Kanyugi a comparé à de la "servitude moderne".
Kanyugi a expliqué à l'AFP : "Les gens développent des problèmes de vision, des problèmes de dos, ils souffrent d'anxiété et de dépression parce qu'ils travaillent 20 heures par jour ou six jours par semaine. Et malgré toutes ces heures de travail, ils ne reçoivent qu'une paie misérable, quand ils sont payés."
Ainsi, la prochaine fois que vous lancerez ChatGPT — ou demanderez à Grok "est-ce vrai ?" — ayez une pensée pour le travailleur qui a rendu votre chatbot possible en premier lieu.
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